Élodie Gamot

Élodie Gamot — 23 février 2022

La perfection du dodécaèdre

Tout le monde connaît la passion des savants grecs pour la géométrie, considérée comme la reine des sciences.
Ne dit-on pas que sur le fronton de l’Académie de Platon figurait cette célèbre phrase : “Que nul n’entre ici s’il n’est géomètre” ?

La construction des solides géométriques fait notamment l’objet d’un champ de recherche. Platon en mentionne cinq en particulier dans ses écrits, que l’on nomme pour cette raison “solides de Platon”, et qui se démarquent par leur symétrie. Ces cinq polyèdres réguliers sont même associés aux cinq éléments qui constituent, selon lui, le monde qui nous entoure. Ainsi, le tétraèdre, le cube, l’octaèdre et l’icosaèdre sont respectivement associés au feu, la terre, l’air et l’eau. Le dodécaèdre, avec ses douze pentagones réguliers, est associé à la quintessence, le cinquième élément.

Solides de Platon

Le dodécaèdre, symbole du cinquième élément

Mais quel est ce cinquième élément dont parle Platon ? Si les cinéphiles auront une réponse toute trouvée (qui ne manquera pas de faire sourire l’autrice de cet article), les autres auront peut-être une réponse plus sérieuse : l’éther. Parce que l’éther, c’est un sujet sérieux !

Pour Platon, l’éther est une matière subtile qui nous entoure. L’univers tout entier est constitué d’éther. Et si le glorieux dodécaèdre a l’insigne honneur de symboliser l’éther, c’est parce qu’il se trouve être proche de la sphère, cercle parmi les cercles, forme parfaite et harmonieuse.
Mais l’histoire de l’éther ne s’arrête pas là. Je vous l’ai dit, c’est un sujet sérieux ! L’existence de l’éther a fait l’objet de longs débats par des philosophes de l’Antiquité, mais aussi des physiciens, et ce jusqu’à notre époque. Mais sa définition a bien sûr légèrement évolué.

Le débat sur l’existence de l’éther

Lorsque Newton découvre la loi de la gravitation universelle, à la fin du XVIIe siècle, lui-même trouve étonnant et même un peu fou d’envisager une force qui s’exerce à distance… et quelle distance ! L’idée d’un éther dans lequel baignent les astres semble être alors une hypothèse satisfaisante pour expliquer la “transmission” de la force gravitationnelle.

La question de l’existence de l’éther continue de se poser jusqu’au XIXe siècle, lorsque les physiciens s’intéressent à la nature de la lumière et à sa vitesse. Deux camps s’affrontent : les partisans de la théorie corpusculaire, et ceux de la théorie ondulatoire. Pour ces derniers, de la même manière que le son se propage dans l’air, il est évident que la lumière nécessite un milieu pour se propager, même dans le vide. Et ce milieu, c’est l’éther, appelé souvent “éther luminifère” dans ce contexte. L’existence de l’éther et la théorie ondulatoire semblent bien établies à la fin du XIXe siècle. Le rayonnement électromagnétique, décrit par Maxwell, est envisagé comme une perturbation de l’éther. C’est une expérience d’interférométrie visant à calculer la vitesse de déplacement de notre planète par rapport à cet éther, menée par Michelson et Morley, qui permettra de mettre en évidence l’invariance de la vitesse de la lumière. Non seulement l’éther n’est plus nécessaire pour expliquer la propagation de la lumière, mais l’invariance de celle-ci mène Einstein vers sa théorie de la relativité restreinte, puis vers la relativité générale.

Malgré tout, Einstein va se pencher plus sérieusement sur la question de l’éther et admettre en 1920 l’existence d’un “éther”, à concevoir non pas comme un fluide invisible qui s’étendrait dans tout notre univers, mais plutôt comme un ensemble de propriétés physiques existant dans un espace même dépourvu de matière.
Ainsi aujourd’hui, la notion d’“éther” semble séduisante en cosmologie notamment lorsqu’il est question d’énergie du vide quantique ou d’univers sombre, mais il n’est bien sûr plus question ici d’un cinquième élément ou d’une matière invisible baignant le monde !

Et revenons-en à nos polyèdres car initialement nous évoquions le dodécaèdre, symbole de l’éther, et sa forme proche de la perfection.

Le dodécaèdre à l’origine du monde ?

Au début des années 2000, une équipe de scientifiques français menée par le cosmologiste Jean-Pierre Luminet s’intéresse à la topologie de l’univers et teste une hypothèse intéressante : l’univers serait un espace infini contenu dans un volume fini. L’équipe teste plusieurs types de solides et l’un d’entre eux semble convenir aux résultats observés : vous l’avez deviné, c’est le dodécaèdre ! Enfin, soyons précis : l’univers pourrait avoir la forme d’un espace dodécaédrique de Poincaré.

Dodécahèdre

Imaginez un ballon de football à 12 faces et dont les faces (presque) opposées seraient connectées entre elles : un jeu Pac Man en 3D dans un espace légèrement sphérique à 12 murs ! Regarder dans un tel espace conduirait à observer d’innombrables images, des mirages topologiques d’un même objet, d’une galaxie par exemple, se présentant sous des angles différents, à des âges variés. Une vraie galerie des miroirs céleste ! Même si les cosmologistes recherchent toujours les images fantômes qui peupleraient notre univers, l’hypothèse du dodécaèdre semble en accord avec les observations et reste d’actualité. Platon serait comblé !

D’ailleurs, grâce à NumWorks aujourd’hui, l’univers est maintenant à portée de main… moyennant du papier cartonné et une paire de ciseaux !

Des ressources pour aller plus loin

Si les sujets abordés dans cet article vous intéressent, vous pouvez écouter ces deux conférences en français de Jean-Pierre Luminet :

Vous pouvez aussi partager avec vos élèves cette excellente série sur l’histoire de la mesure de la vitesse de la lumière par Jamy Gourmaud, produite par le CERIMES.

Et pour le plaisir des yeux et des mathématiques, un article en anglais qui explore avec des démonstrations simples et élégantes les relations entre le dodécaèdre, l’isocaèdre et le nombre d’or.

Élodie Gamot
Élodie Gamot — Responsable pédagogique

Elodie, c'est la professeure de maths que tout le monde rêverait d'avoir et maintenant nous l'avons chez NumWorks ! Passionnée et passionnante, elle aime raconter des histoires… et pas seulement à propos des mathématiques !